Avis détaillé 1. Contexte, présentation du projet et enjeux environnementaux
Publié le 22 Août 2014
Avis détaillé
1. Contexte, présentation du projet et enjeux environnementaux
1.1. Contexte du projet
La Sélune est un fleuve côtier qui prend sa source à Saint-Cyr-du-Bailleul (Manche), traverse le bocage
normand et se jette 91 kilomètres plus loin dans la baie du Mont-Saint-Michel. La Sélune comporte deux
barrages hydroélectriques : Vezins (construit en 1926) et La Roche-qui-Boit (1916). Ce dernier, outre le fait
qu’il produit de l’électricité, assure un rôle d’ouvrage de « compensation » permettant de lisser les débits du
cours d’eau aval lors des lâchers d’eau par le barrage Vezins.
Le barrage de Vezins, propriété de l’État, est exploité dans le cadre d’une concession accordée à EDF. Celui
de La Roche-qui-Boit, propriété d’EDF, est exploité en vertu d’une autorisation accordée par l’État. Il en
résulte que deux maîtres d’ouvrage sont concernés par le présent projet : l’État et EDF.
Depuis leur mise en service, les deux barrages connaissent une sédimentation importante. Leur envasement
s’est accéléré depuis une trentaine d’années avec la mise en culture des terres agricoles du bassin versant.
Le volume de sédiments présents a été estimé en 2004 à 1,4 million de m3
dans le barrage de Vezins et à
0,4 million de m3
dans celui de La Roche-qui-Boit. Ces sédiments sont pollués par de l’arsenic et des métaux
lourds dont la concentration dépend de leur localisation, en raison de rejets antérieurs dans l’Yvrande
(affluent de la Sélune à hauteur de la retenue de Vezins) par l’entreprise Electropoli, spécialisée dans le
traitement électro-chimique des surfaces.
La dernière vidange complète qui a été réalisée en 1993 a entraîné des conséquences dommageables pour
l’environnement. En effet, lors de la phase d’assec2
, une crue estivale de fréquence décennale s’est produite
et a abouti à une importante érosion des sédiments contenus dans le barrage de Vezins. Ces remises en
suspension ont ponctuellement atteint des concentrations de 100 g de matières en suspension par litre en
aval des barrages.
Illustration 1 : Carte du bassin versant de la Sélune figurant les positions des deux barrages et le contour du bassin. Source
carte extraite du projet, doc 2 page 39
Le 13 novembre 2009, l’État a annoncé qu’il ne reconduirait pas la concession, dont EDF souhaitait le
renouvellement, et qu’il était impératif d’effacer les deux barrages de Vezins et de La Roche qui Boit. Cette
décision repose sur deux motifs, dont le non-respect serait susceptible de constituer à compter de 2015 une
source de non-conformité des masses d’eau concernées par rapport aux exigences de la directive cadre sur
l’eau :
2
Etat d’une rivière ou d’un étang qui se retrouve sans eau, soit à la suite d’un phénomène naturel soit par l’action de l’activité humaine. Ae CGEDD – Avis délibéré du 23 avril 2014 Démantèlement des barrages de Vezins et de La Roche qui Boit– page 6 sur 24
• l’obligation de garantir la libre circulation des espèces piscicoles et l’impossibilité d’aménager des
installations permettant la montaison et la dévalaison des poissons migrateurs, et en particulier des
saumons ;
• la qualité des eaux dont l’état actuel impose une amélioration.
De surcroît, la Sélune est classée depuis 1986 au titre de la libre circulation des poissons migrateurs, dont le
saumon. L’arrêt du 26 novembre 2010 de la cour administrative d’appel de Nantes est libellé comme suit : «
Électricité de France est mise en demeure de prendre toutes dispositions nécessaires de nature à assurer la
libre circulation des poissons migrateurs au droit des barrages de Vezins et de La Roche-qui-Boit au plus
tard le 31 décembre 2013. »
Dans un contexte d’opposition locale au projet, mais de soutien d’associations environnementales
nationales, la ministre de l’écologie a confirmé la décision d’effacement des deux barrages le 21 février
2012, précisant qu’un plan d’accompagnement technique et financier des collectivités affectées, pour la
renaturation de la vallée, sera mis en place.
Le 3 juillet 2012, le préfet de la Manche a signé l’arrêté « portant décision de l’arrêt immédiat de la
concession de Vezins et de l’arrêt de l’autorisation de La Roche-qui-Boit à la date de la notification de
l’arrêté autorisant la réalisation de la vidange et de la remise en état du site ».
Pour le barrage de Vezins, dont l’Etat est propriétaire, EDF reste présent en tant que gestionnaire pour le
compte de l’Etat afin de garantir la sûreté des ouvrages et la sécurité des biens jusqu’au rétablissement du
libre écoulement des eaux de la Sélune.
Illustration 2 : zones de gestion de sédiments le long des retenues (source : étude d’impact)
Le présent projet a été l’objet d’un cadrage préalable de l’Autorité environnementale3
en réponse aux
questions posées par les maîtres d’ouvrage qui portaient sur : l’état initial de référence, la justification du
choix du projet (scénario de référence, variantes, étude coût-avantage), les impacts sur le compartiment
terrestre, la prise en compte des impacts socio-économiques, la notion de projet-programme, les impacts sur
le climat et sur les inondations.
3 Avis Ae n°2012-16 du 13 juin 2012. Ae CGEDD – Avis délibéré du 23 avril 2014 Démantèlement des barrages de Vezins et de La Roche qui Boit– page 7 sur 24
L’objet du projet présenté est de contribuer à restaurer le milieu naturel fluvial que constitue la Sélune dès
lors que les deux barrages installés sur le cours d'eau auront été effacés. L'objectif attendu4
est une
amélioration de la qualité de l'eau, du fait de la disparition des retenues, et un retour des poissons
migrateurs, parmi lesquels le saumon, le fleuve Sélune constituant un habitat favorable de cette espèce
migratrice amphihaline5
. Cet objectif principal implique des actions de préservation de la qualité de l'eau
pendant la vidange des retenues, une renaturation des berges du fleuve et une adaptation de l'adduction
d'eau potable juste à l’aval du barrage de La Roche qui Boit, dans la commune de Ducey. L'ensemble de
ces opérations est présentée par les maîtres d’ouvrage comme faisant partie d’un même programme Les
maîtres d’ouvrage, EDF et l’Etat, définissent en effet le programme d’ensemble (au sens de l’article L.122-1
du code de l’environnement) de la façon suivante6
:
1. le démantèlement des barrages,
2. la renaturation de la vallée de la Sélune,
3. l’adaptation de la filière de traitement d’eau potable et sa mise en service : les opérations de vidange et
de démantèlement ayant un effet direct sur l’eau prélevée à l’aval du barrage de La Roche qui Boit à
Ducey, le dossier indique que le programme doit également prendre en compte les opérations
d’adaptation de la filière de traitement d'eau potable. Les travaux ont été réalisés en 2012. Ils sont
présentés dans le dossier.
L’Ae observe une contradiction dans le dossier, en ce qui concerne la renaturation des futures berges de la
Sélune actuellement noyées dans l’emprise des retenues. Celle-ci, présentée ici comme une opération du
programme de restauration de la qualité des eaux, est considérée ailleurs (cf. § 1.2 ci-après à propos du
phasage) comme une partie intégrante du projet de démantèlement.
Pour l’Ae, c’est cette 2ème interprétation qui est la bonne, le démantèlement ne pouvant être considéré
comme terminé sans finalisation du traitement des sédiments (dont les sédiments pollués) par renaturation
des berges. Le fait que cette renaturation ne puisse être complètement définie dès maintenant conduit à
considérer le projet comme relevant d’autorisations successives décalées dans le temps (en l’occurrence,
plusieurs autorisations loi sur l’eau, déclaration de projet), l’étude d’impact initiale actuellement soumise à
l’Ae devant être actualisée si nécessaire en fonction des nouveaux éléments disponibles, en application de
l’article R.122-8 du code de l’environnement.
L’Ae recommande de modifier la définition du programme, en précisant que la renaturation fait partie
du projet de démantèlement et ne constitue pas une opération distincte dans le programme de
restauration de la qualité des eaux.
Cette précision étant apportée, l’Ae constate que le programme constitué par le démantèlement des
barrages et la filière de traitement des eaux constitue un programme à réalisation échelonnée dans le
temps, au sens des articles L.122-1 et R.122-5 du code de l’environnement : l’étude d’impact du présent
projet, constituant l’une des deux opérations du programme, doit donc comporter une appréciation globale
des impacts de ce programme.
Elle constate par ailleurs que les collectivités locales sont invitées par l’Etat à mettre en place des actions de
développement durable de la vallée de la Sélune suite à sa restauration, mais que le présent projet est
présenté comme s’inscrivant dans un programme dont l’objet est la restauration de la qualité des eaux de la
Sélune et non l’aménagement global du territoire. Ces actions, aidées financièrement par l'Etat, ne sont pas
développées7
dans le présent dossier puisqu’elles ne sont pas considérées comme relevant du même
programme. Souscrivant à cette analyse (envisagée dans le cadrage préalable cité plus haut), l’Ae rappelle
qu’elles devront faire l’objet, le moment venu, d’une évaluation environnementale tenant compte de l’état
initial nouveau constitué par les opérations déjà réalisées du présent programme, ou le cas échéant de leurs
impacts cumulés avec les opérations non encore réalisées.