VEZINS ET LA-ROCHE-QUI-BOIT MENACES DE SUPPRESSION
Les barrages de la Roche-qui-Boit et de Vezins ont été mis en service en 1920 et 1932 dans le Sud Manche. Ils sont situés sur le cours de la Sélune qui se jette dans la baie du Mont Saint Michel, comme le Couesnon et la Sée.
Pendant la deuxième guerre mondiale, leur production électrique a aussi été utilisée pour approvisionner l’arsenal de Cherbourg et le mur de l’Atlantique.
Aujourd’hui, cinq minutes suffisent pour déclencher une production d’électricité suffisante pour alimenter huit à dix mille personnes, soit l’équivalent d’une ville comme Avranches (50300).
Le lac de retenue de Vezins s’étend sur 19 Km pour environ 72 Ha et un volume de 20 Millions de M3 d’eau. Chaque année, la vallée verdoyante et boisée accueille de très nombreux visiteurs grâce aux différentes structures qu’elle abrite : la base de la Mazure (20.000 nuitées), le parc de l’Ange Michel (90.000 entrées) ou le village de gîtes le Bel-Orient (1.850 journées). On y pratique de nombreuses activités nautiques et de loisirs (canoë-kayak, randonnée, escalade, photographie, peinture, tir à l’arc…). Le plan d’eau est notamment utilisé pour l’entraînement des sapeurs pompiers ou encore des chiens de sauvetage et il constitue une importante réserve destinée à l’alimentation en eau potable.
Mais c’est aussi le paradis des pêcheurs qui viennent taquiner perches, tanches, brochets, silures, carpes, sandres, anguilles et autres poissons blancs.
Le 13 Novembre 2009, Madame Jouanno, actuelle Secrétaire d’Etat à l’écologie en visite à Lisieux (14) annonce que la concession d’EDF ne sera pas renouvelée et que les barrages de Vezins et de la Roche-qui-Boit seront « effacés ».
Cette décision s’appuie sur l’avis rendu par la CLE (Commission Locale de l’Eau) et correspondrait aux exigences du Grenelle de l’Environnement.
Coût estimé des différentes opérations : 290 Millions d’Euros
Les raisons invoquées sont le rétablissement de la qualité de l’eau (prôné par la CLE) et celui de la circulation des poissons migrateurs (décidé par le Grenelle de l’Environnement).
La qualité de l’eau :
Force est de constater que la Sélune et ses lacs de retenue sont touchés par la pollution, tout comme les autres fleuves et rivières de France. Les teneurs en nitrates ne cessent d’augmenter, les phosphates (simplement présents à l'état de traces en 1961) atteignent des concentrations supérieures à 0,3 mg/l (c’est le phosphore qui conduit à l’eutrophisation des lacs en été et au développement des cyanobactéries produisant des cyanotoxines potentiellement dangereuses pour l’homme et la faune sauvage). Des pesticides sont également présents. La teneur en azote des eaux des retenues a été multipliée par 10 au cours des vingt dernières années. La qualité des eaux du lac de Vezins s'est particulièrement détériorée en ce qui concerne la prolifération des algues, la teneur en oxygène, l’augmentation des sédiments et leur enrichissement en éléments toxiques. Et les matières en suspension contribuent à l’envasement des retenues d’eau…
Un bien triste constat que nous livrent le rapport N°93-137 du CGPC et celui du SAGE Sélune de 2007.
Mais d’où vient cette pollution ? Doit-on considérer que les lacs en sont responsables ?
La Sélune reçoit les eaux usées de 37 stations d’épuration domestiques (pas toutes aux normes) censées traiter correctement les matières en suspension et les matières organiques, mais très mal les matières azotées et le phosphore qui provient en majorité des rejets urbains et industriels. L’agriculture et l’élevage constituent les principales sources de pollution en azote. La gestion des effluents d’élevage, des cultures (maïs notamment) sont les points les plus problématiques. De plus, les pesticides utilisés, comme l’atrazine, sont rémanents. Par ailleurs, la descente du bétail au cours d’eau détériore la qualité bactériologique et augmente les quantités de matières en suspension. Les pratiques culturales favorisent le ruissellement au détriment de l’infiltration. L’imperméabilisation générale et l’urbanisation des zones inondables augmentent le risque de dommages, tandis que l’abandon d’entretien des rivières (à la charge des riverains) et les travaux parfois inadaptés nuisent à l‘écoulement ou au stockage des eaux excédentaires.
La pollution provient donc de l’amont et celle qui est constatée dans les lacs de retenue n’en est que la conséquence.
Les ouvrages remplissent le rôle de filtres et de bassins de décantation permettant de retenir une grand partie, sinon la majorité des sédiments pollués. L’arasement des barrages n’aurait donc aucun effet bénéfique sur l’amélioration de la qualité des eaux. Bien au contraire, car leur suppression permettrait le libre écoulement des sédiments vers l’aval et jusque dans la baie du Mont Saint Michel, alors que des centaines de millions d’euros ont déjà été dépensés pour tenter de rétablir le caractère maritime du Mont et stopper l’envasement de sa baie.
Quel serait alors le devenir du projet Natura 2000 et du « parc marin » actuellement en création ?
Comment réguler le débit de la Sélune en période de crue pour éviter les dégâts liés aux inondations saisonnières ?
Et, sachant que la plupart des captages de surface révèlent des teneurs en nitrates supérieures à 70 mg/l, Où trouver une réserve capable d’alimenter la population en eau potable ? A quel prix ? Aux frais de qui ?
La circulation des poissons migrateurs :
« La suppression des barrages et la restauration de l’axe migrateur majeur qu’est la Sélune permettront au saumon et à l’anguille de multiplier par 4 leur aire de colonisation sur le
bassin de la Sélune. » (Rapport du SAGE Sélune 2007)
On peut raisonnablement concevoir la possible existence de frayères en amont de la Roche-qui-boit, ce qui pourrait expliquer qu’une échelle à poissons fût mise en place dès la construction de l’ouvrage en 1919. Mais rien n’atteste la présence du saumon à cette époque et en amont de l’actuel barrage de Vezins. Et il est à craindre que le peu de candidats potentiels à la remontée ne soit découragé par la médiocre qualité des eaux…
Aux dires des pêcheurs eux-mêmes, la diminution du nombre de captures s’accélère d’année en année, et plus particulièrement sur la Sée qui ne comporte pourtant aucun barrage. La Sée serait-elle donc plus polluée que la Sélune ?
La raréfaction des saumons n’est ni une spécificité locale ni une particularité régionale. C’est malheureusement un phénomène qui dépasse nos frontières.
Les anguilles étaient jugées indésirables dans nos cours d’eau jusque dans les années 70 où l’on organisait des pêches électriques pour les en extraire. Il y a fort à penser pour que la sécheresse de 1976 soit pour beaucoup dans leur quasi disparition, car c’est depuis cette époque qu’on a constaté une diminution très sensible de leur nombre. On doit néanmoins constater que, contrairement aux saumons, elles n’ont pas été gênées par les barrages pour remonter le cours de la Sélune entre 1919 et 1976…
Pourquoi considérer les barrages comme un obstacle à l’anguille en 2010 ?
Mais, en dehors de toutes ces considérations, la « libre » circulation des poissons migrateurs fait l’unanimité, tout comme le rétablissement de la qualité de l’eau.
Pourquoi ne pas envisager la mise en place de passes à poissons efficaces ?
(Le Conseil Général de la Manche avait même proposé de financer l’étude d’un projet de création d’une rivière artificielle)
Pourquoi ne pas commencer à rétablir la qualité de l’eau en faisant un effort substantiel pour améliorer la situation actuelle en amont?
Cela nécessiterait une diminution sensible de l’emploi des polluants que sont les pesticides, les phosphates, les nitrates et autres produits nocifs. Et sans craindre d’avoir à s’opposer au lobbying de puissants industriels.
Mais quel que soit le coût de ces mesures, il serait bien loin d’atteindre les montants très approximatifs annoncés pour financer la suppression, l’arasement ou la destruction des barrages et une hypothétique « renaturation » du site.
En tout état de cause et en supposant la suppression des barrages, le retour de la vallée à son état « originel » serait parfaitement illusoire si l’on considère les millions de tonnes de sédiments et de vase pollués qui s’y sont accumulés. Leur extraction et (ou) leur retraitement étant notoirement et scientifiquement impossible.
En presque un siècle, la nature s’est organisée autour et dans les lacs en adaptant l’écosystème. La vallée renferme une faune sauvage très riche et diversifiée (canards, hérons, cormorans, balbuzards, écureuils, martins-pêcheurs, biches, chevreuils…) et les eaux sont très poissonneuses.
L’homme s’est lui-aussi adapté à un environnement qui fait vivre les propriétaires de gîtes, de chambres d’hôtes, les petits commerces ruraux et les boutiques concernées par la pêche.
Ces rivages enchanteurs ont vu fleurir leurs berges en amont comme en aval de maisons et de cabanons en tout genre, menacés d’aucune sorte par un quelconque risque de rupture des barrages régulièrement contrôlés par la DRIRE et qui sont entretenus et maintenus dans un état irréprochable.
Le barrage de Vezins a été construit par l’ingénieur Albert Caquot. C’est un ouvrage à contreforts et à voûtes multiples qui mérite d’être classé au titre du patrimoine. Un dossier a été déposé à cet effet à la DRAC de Basse-Normandie.
Selon G. Huet, député et maire d’Avranches, cette décision serait le résultat d’un marché passé entre le gouvernement et les partis écologistes. L’arasement des barrages constituant à la fois un exemple et le prix à payer par l’Etat en échange de la présence des écologistes au Grenelle de l’Environnement.
La suppression, l’arasement ou la destruction des barrages de Vezins et la Roche-qui-Boit serait sans aucun doute un acte lourd de conséquences, tant sur le plan écologique qu’économique, en allant à contresens des objectifs recherchés.