M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Publié le 22 Novembre 2013

M. Philippe Martin, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Je suis très heureux de pouvoir m’exprimer sur ce sujet, mes collègues Pierre Moscovici et Bernard Cazeneuve n’ayant pu se joindre à moi.

Votre commission, Monsieur le Président, a débattu du rapport réalisé par Marie-Noëlle Battistel et Éric Straumann sur le renouvellement des concessions hydrauliques.

Je voudrais leur dire, ainsi qu’à vous, que dans ma conception de notre relation de travail, débattre, construire avec les parlementaires ce qui deviendra ensuite des politiques gouvernementales, sera ma ligne de conduite.

Dire cela, l’affirmer même solennellement à cet instant, c’est bien évidemment regretter qu’une réponse du Gouvernement à un référé de la Cour des comptes ait pu être publiée avant que nous ayons eu un échange de fond sur les travaux menés par votre commission. Je préfère vous le dire sans détour, ni artifice.

De la même manière je veux dire qu’une réponse à un référé de la Cour des Comptes ne saurait constituer à elle seule une politique gouvernementale. Le sujet est complexe, il comporte un volet industriel, un volet territorial, un volet environnemental et enfin un volet économique et budgétaire qui doivent être traités ensemble pour constituer, comme c’est notre ambition, une politique globale de l’hydro-électricité en France.

La Cour des comptes, comme c’est sa mission, entendait alerter le Gouvernement sur le fait que, faute d’avoir été renouvelées à temps, certaines concessions attribuées à EDF sont aujourd’hui prorogées de fait, ce qui prive le budget de l’État du produit des redevances qui auraient dû être appliquées lors du renouvellement de ces concessions.

Le Gouvernement répond à cette situation de la manière suivante : « sans préjuger des conclusions de la mission parlementaire en cours », et « à ce stade de sa réflexion », la solution d’un renouvellement s’appuyant sur une mise en concurrence avec lancements d’appels d’offres était la solution qu’il était conduit à privilégier. Et d’ajouter qu’alors qu’elles ont été historiquement attribuées ouvrage par ouvrage et au fur et à mesure de leur construction, il serait préférable de regrouper les concessions par vallées pour préserver la cohérence de la chaîne d’exploitation des barrages et définir une date d’échéance des concessions unique par vallée – en raccourcissant la durée des concessions les plus longues d’une durée équivalente à la prolongation des plus anciennes –, ce que l’on appelle techniquement la méthode des « barycentres ».

Ce que le Gouvernement met en avant dans cette réponse, c’est donc d’abord une méthode.

Cette méthode est un héritage. Elle résulte des engagements pris au nom de la France par le précédent Gouvernement en 2010 - je le dis à Messieurs les parlementaires de l’opposition. La France, qui se trouvait alors sous le coup de deux contentieux européens, s’était engagée à ouvrir à la concurrence non seulement tout le secteur de l’aval (c’est-à-dire de la vente de l’électricité), ce qui a été fait au mieux des intérêts des consommateurs avec la loi NOME, fortement critiquée par François Brottes, mais aussi l’amont, c’est-à-dire le secteur de la production de l’électricité. C’est dans ce compromis général que se sont trouvées englobées les concessions hydrauliques, alors même que les barrages sont une composante de notre patrimoine national.

Cette méthode résulte aussi et plus fondamentalement, des choix qui ont été faits au cours des dix dernières années et, au premier chef, du choix porté par une autre majorité devenue aujourd’hui opposition, par la loi du 9 août 2004, de transformer EDF qui était un établissement public en une société anonyme de droit privé. Ce changement de statut a été opéré sans régler le problème des concessions, alors qu’on aurait tout à fait pu les renouveler à l’époque pour une durée de 40 ans au profit de l’opérateur historique.

Le fait que le titulaire des concessions hydrauliques actuel soit une société privée, dont l’État est certes actionnaire à hauteur des deux tiers du capital mais qui n’en est pas moins une société privée, a changé la donne. Pourquoi ? Parce que toute solution consistant à faire revenir dans les mains de l’État, ou dans des mains publiques, l’exploitation des barrages, implique nécessairement de revoir le statut d’EDF, en totalité ou partiellement. Il faut pousser le raisonnement jusqu’au bout : en totalité, cela impliquerait une renationalisation de EDF. En partie, cela impliquerait un démantèlement de l’opérateur pour y distinguer une filiale qui pourrait ensuite devenir publique, sous la forme d’un EPIC, puis rompre tout lien avec EDF, soit en suscitant un nouvel opérateur public.

Enfin, le statut de Société anonyme d’EDF fait entrer le renouvellement des concessions dans le droit commun des délégations de service public, strictement encadrées tant par le droit national, avec la loi Sapin, que par le droit de l’Union européenne. Et cet encadrement impose une application stricte du droit de la concurrence, ce qui rend non pas impossible mais extrêmement difficile d’imaginer un scénario où l’État attribuerait directement à un opérateur public l’exploitation des barrages sans appel d’offres.

Ce rappel m’a semblé nécessaire : nous devons tous avoir conscience que la voie qui est ouverte pour des solutions alternatives à la mise en concurrence est étroite. Le Gouvernement, pour sa part, et c’est ce qui fonde l’option qu’il privilégie jusqu’à maintenant, estime que cet héritage crée une situation de non - retour. La création d’un nouvel intervenant, public, chargé de la production hydraulique, établissement qui devrait avoir des clients serait un concurrent d’EDF et le priverait d’un coup de tous ses moyens de production de pointe, alors que l’on peut envisager, dans le cadre des appels d’offres à venir qu’EDF en conserve une partie non négligeable.

Voilà pour l’argumentation de la position retenue. Ce n’est donc pas une position idéologique, mais une option réaliste qui intègre les choix qui nous ont précédés.

J’ai bien conscience que nous sommes à un tournant de notre politique énergétique et que nous avons une responsabilité particulière. Marie-Noëlle Battistel et d’Éric Straumann ont imaginé d’autres possibilités, envisagé d’autres scénarios. Je respecte bien évidemment cette vision. C’est peut-être la dernière fois que nous pouvons avoir un véritable débat sur l’avenir de notre appareil productif alors que la montée en puissance des énergies renouvelables, intermittentes par nature, rend nécessaire de disposer de l’énergie de pointe des barrages et d’en garder la maîtrise.

Je vais donc prendre connaissance attentivement de votre rapport et je vous assure que nous re-débattrons de ce sujet, à la lumière de cette lecture.

Une politique de l’hydro-électricité en France doit, à mes yeux, viser deux objectifs :

Le premier est de soutenir nos industriels électro-intensifs. Je suis attaché au maintien de la compétitivité de notre énergie. Et le contexte actuel est complexe. La sauvegarde de certains sites (comme Saint Jean de Maurienne) nécessite des acrobaties conceptuelles afin de rester dans le cadre européen et d’offrir des offres compétitives en assurant à nos industriels une visibilité sur le long terme.

Je souhaite que nous travaillions collectivement à une solution pérenne pour les électro-intensifs. La victoire n’est pas garantie mais le renouvellement des concessions hydro-électriques pourrait constituer une opportunité à saisir. Une discussion pourrait s’amorcer avec la Commission européenne et pourrait trouver une concrétisation dans la loi de transition énergétique.

Je crois savoir que vous faites des propositions en ce sens et je veux que nous en débattions ensemble.

Le second objectif est de donner aux collectivités territoriales une nouvelle place dans notre système hydro-électrique. Les collectivités territoriales souhaitent avoir un rôle important dans le processus, voire une participation dans les futurs exploitants. Je sais que vous faites des propositions et que vous les avez également rencontrées. D’ores et déjà je vous fais la proposition d’une table ronde avec les collectivités intéressées pour approfondir ces questions.

Enfin, on ne peut concevoir aujourd’hui un barrage sans un projet territorial comprenant un volet environnemental fort. Le renouvellement des concessions peut être, j’en suis convaincu, une opportunité de remettre les choses à plat en donnant l’occasion à l’ensemble des parties prenantes et des usagers de l’eau de faire valoir leurs intérêts et leurs points de vue, et notamment, de demander l’application de nouvelles prescriptions environnementales.

Je ne peux terminer sans évoquer deux points : le premier est la question de l’emploi. Le renouvellement des concessions ne constitue pas une menace pour l’emploi. Il pourrait même donner lieu à des créations d’emplois au niveau local: par exemple les emplois induits par les nouveaux investissements (travaux de suréquipement) stimuleront également l’ensemble de la filière industrielle, qui compte déjà 11 000 emplois directs (équipementiers, génie civil, intégration environnementale).

Je ne méconnais pas les difficultés que ne manqueront pas de poser les transferts des agents sous statut en cas de changement de concessionnaire. Sur ces points encore, je souhaite que nous prolongions nos échanges.

L’impact d’une mise en concurrence sur les ménages est également un point sur lequel nous devrons avoir des échanges approfondis.

La question d’un risque d’augmentation des coûts pour les ménages n’est pas une question à traiter à la légère :

De mon point de vue, les ménages continueront à bénéficier des tarifs réglementés de l’électricité. Il n’y aura pas d’impact par rapport à la situation actuelle car les tarifs réglementés seront construits par addition de différentes composantes : prix de l’électricité nucléaire, complément d’électricité au prix de marché, coûts d’acheminement, coûts commerciaux et taxes, rémunération normale.

Les coûts des concessions hydro-électriques n’auront donc pas, a priori, d’influence sur les prix payés par les ménages. La question est plutôt de savoir si la rente est captée par l’État à travers la redevance ou si elle transite via EDF dont l’État récupère une partie par les dividendes.

Voilà ce que je tenais à vous dire, Messieurs et Mesdames les députés, alors que vous venez d’apporter votre contribution à cet important débat sur l’avenir de nos concessions hydrauliques. Mais mon message essentiel est que nous nous reverrons et que je souhaite construire avec vous la politique de l’hydro-électricité de la France.

M. le président François Brottes. Merci, Monsieur le ministre, d’avoir permis l’ouverture sur un débat et un travail coopératif sur ce sujet extrêmement sensible. Je propose que ceux qui souhaitent vous interroger puisse le faire maintenant.

Mme Brigitte Allain. Vous avez évoqué, Monsieur le ministre, des décisions de l’ancien Gouvernement qui engageraient trop aujourd’hui l’actuel et qui l’empêcheraient de prendre certaines décisions ou de revenir sur certaines d’entre elles. Pouvez-vous nous préciser de quelles décisions il s’agit et les rapporteurs peuvent-ils nous dire s’ils sont d’accord avec ce diagnostic ?

M. Yves Blein. Je souhaitais seulement faire une remarque selon laquelle les entreprises électro-intensives ont besoin de réponse sur le coût de l’énergie et sur sa stabilité.

M. Jean-Luc Laurent. Je vous remercie à mon tour, Monsieur le ministre, pour les éclairages que vous nous avez apportés. Cela dit, je souhaiterais faire deux observations.

Tout d’abord, je suis assez stupéfait que le Gouvernement, qui avait pourtant arrêté une méthode de travail en collaboration avec le Parlement, prenne des décisions avant même que le rapport sur l’hydroélectricité ne soit validé par la Commission des affaires économiques, puisque celle-ci n’en a eu connaissance qu’aujourd’hui, en fin d’après-midi.

Ensuite, l’intérêt national ne peut être guidé par les seuls choix techniques et le seul désir de maintenir une concurrence libre et non faussée. L’hydroélectricité est l’un des fleurons de notre industrie ; il faut veiller à ne pas prendre à son égard de décision hasardeuse et seulement comptable.

M. Antoine Herth. Les explications du ministre sont intéressantes. La position exprimée me convient plutôt à une exception près, qui est celle du clivage partisan que vous introduisez. À mon sens, vous avez deux sortes de parlementaires : ceux que l’on peut rapidement qualifier de « libéraux » et ceux, dont je fais partie, qui sont également les défenseurs d’une sorte de « pré carré colbertiste ». Or, si vous souhaitez changer les choses, c’est à mon avis sur cette deuxième catégorie qu’il faudra vous appuyer.

M. le président François Brottes. Madame et Monsieur les rapporteurs, souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

Mme Marie-Noëlle Battistel, co-rapporteur. Je souhaite remercier l’ouverture dont fait preuve le ministre et nous sommes, je pense, tout à fait d’accord pour travailler avec les services du ministère sur ces sujets. C’est une alternative à la simple mise en concurrence à laquelle nous répondons positivement.

M. Éric Straumann, co-rapporteur. Je rappelle que l’ancienne majorité devait faire face aux mêmes problématiques. Je suis de tendance plutôt libérale mais je rappelle que ces barrages ont un rendement net de 90 % et je pense qu’il faut donc tout faire pour les défendre, les conserver et ne pas les laisser à un acteur privé qui bénéficierait ainsi d’une rente tout à fait exceptionnelle.

M. le président François Brottes. Monsieur le ministre, je vous laisse répondre.

M. Philippe Martin, ministre de l’environnement. L’exercice n’est pas facile ! Le changement de statut d’EDF est un élément qui doit être pleinement pris en compte pour gérer cette situation. Je signale également que la Commission européenne (notamment la direction générale de la concurrence) observe ce que l’on fait, notamment au regard des autres pays qui nous entourent : on ne peut agir librement. Je m’engage à me servir de ce rapport, à prendre appui sur ses observations et ses propositions.

M. le président François Brottes. Je vous remercie Monsieur le ministre. J’interroge la commission pour savoir si elle autorise la publication du rapport.

(La commission autorise la publication du rapport).

Rédigé par jojo

Publié dans #Réaction de nos politiciens

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