Nitrates : la très difficile révision des zones vulnérables et des programmes d'actions

Publié le 10 Décembre 2012

Nitrates : la très difficile révision des zones vulnérables et des programmes d'actions

La 5ème révision des zones vulnérables est particulièrement tendue. Alors que la France est poursuivie devant la CJUE, les syndicats agricoles en campagne électorale s'opposent ouvertement aux Dreal.

Décryptage  |  Eau  |  07 décembre 2012  |  Actu-Environnement.com
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Conformément aux textes européens, l'Etat est tenu de réviser tous les cinq ans la politique de lutte contre la pollution de l'eau par les nitrates. En tenant compte des dernières données disponibles relative à la présence de nitrates dans les masses d'eau, les zones vulnérables sont redessinées et de nouveaux programmes d'actions sont définis.

Cette 5ème révision depuis l'adoption de la directive nitrates en 1991 est en cours depuis plusieurs mois et doit aboutir d'ici fin 2012 pour être conforme à la réglementation européenne. Mais la réforme pilotée par les ministères de l'Agriculture et de l'Ecologie, et déclinée en région par les directions régionales de l'environnement, de l'alimentation et du logement (Dreal), ne progresse guère tant les blocages sont nombreux.

Les élections minent le terrain

L'actuelle mise à jour se tient dans un contexte particulièrement compliqué et tendu. Du côté de l'Etat, elle intervient après qu'en février la Commission européenne a traduit la France devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) "pour n'avoir pas pris les mesures efficaces contre la pollution des eaux par les nitrates". La cause du courroux de l'exécutif européen ? "La France n'a toujours pas désigné un certain nombre de zones vulnérables à la pollution par les nitrates", déplorait la Commission qui demandait "instamment à la France de prendre des mesures en désignant davantage de zones et en élaborant des plans appropriés". C'est justement ce que tente de faire actuellement le deux ministères. Si la France ne satisfait pas aux obligations européennes, la sanction pourrait tomber : une lourde amende de plusieurs dizaines de millions d'euros assortie d'une astreinte financière.

L'Etat doit donc redoubler d'effort dans un contexte où les syndicats agricoles ne sont pas disposés à lâcher du lest. En effet, ces derniers se livrent actuellement une bataille électorale en vue du renouvellement des Chambres d'agriculture. Cette année l'enjeu est de taille puisque la Coordination rurale (CR) entend marquer des points face à la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et faire passer le syndicat majoritaire historique sous la barre des 50% de suffrages, rapporte la France agricole. Autant dire que le temps n'est pas aux concessions sur un sujet aussi sensible que les nitrates. La mise en œuvre de la directive est ainsi devenue l'un des terrains d'affrontement privilégié de la guerre que se livrent la FNSEA associée aux Jeunes agriculteurs (JA) et la CR.

FNSEA et Coordination rurale à couteaux tirés

La FNSEA a lancé une pétition contre le "monstre administratif" demandant en premier lieu "un moratoire sur l'extension des zones vulnérables dans l'attente d'une vraie étude scientifique et de surseoir à la signature par les Préfets Coordonnateurs de Bassin des arrêtés de délimitation". Le syndicat majoritaire appelle par ailleurs à "renvoyer au niveau régional la définition des calendriers d'épandage [,] revoir complètement sa copie sur le cadrage des 5èmes programmes d'actions Directive « nitrates » [et] arrêter un plan en faveur de la compétitivité de l'élevage français".

De son côté, si la CR "salue le très récent réveil de la FNSEA et des JA", c'est surtout pour mieux dénoncer une manœuvre électoraliste dans un communiqué très critique à l'encontre du syndicat majoritaire. "Ils manifestent, pétitionnent et crient au scandale... alors que, justement, les élections aux Chambres d'agriculture approchent à grand pas", constate la CR qui s'interroge : "ne serait-ce qu'une coïncidence ?". Le syndicat déplore "qu'à la veille des élections, le syndicat majoritaire s'attribue des combats qu'il a toujours volontairement occultés" et rappelle que "depuis plus de 10 ans, la CR milite pour l'abrogation de la directive, basée sur la grande imposture de la « pollution » causée par les nitrates".

Quant à la Confédération paysanne, elle ne semble pas s'opposer frontalement aux mesures envisagées par l'Etat. Néanmoins elle s'oppose aux contraintes administratives imposées aux éleveurs de vaches laitières en pâturage. En effet, après avoir adopté un décret controversé en octobre 2011 le gouvernement a demandé une dérogation au plafond de 170 kg d'azote par hectare de surface agricole utile pour ce type d'élevage. Selon la Confédération paysanne, avec cette dérogation les agriculteurs seraient "[soumis] à la torture administrative".

Plus de la moitié de la France concernée

C'est dans ce contexte délétère que les services de l'Etat mettent à jour les stratégies régionales de lutte. Au regard de la directive, les zones vulnérables incluent l'ensemble des points de mesure, le plus souvent les points de captage d'eau potable, affichant un taux de nitrates supérieur à 50 milligrammes par litre (mg/l), ceux dont le taux est compris entre 40 et 50 mg/l si la progression est marquée et certaines parties des bassins versants des fleuves affichant des taux élevés de nitrates à leur estuaire. A l'opposé, les sites pour lesquelles les taux de nitrates sont descendus en deçà de 40 mg/l doivent sortir du zonage.

Bilan ? "C'est environ 55 à 60% du territoire français, qui devrait être placé en zone vulnérable", estime Bernard Rousseau, responsable des politiques eau de France nature environnement (FNE). "Les syndicalistes agricoles se battent pied à pied et contestent tous les résultats au risque de faire condamner la France pour « défaut d'inscription » de certaines zones", avance le représentant de FNE.

La représentativité des points de mesure retenus par rapport aux masses d'eau étudiées est remise en cause et des problèmes ponctuels sont avancés pour expliquer des teneurs en nitrates élevés. "Les propositions de l'administration française (…) sont inacceptables, dénuées de bon sens agronomique et surtout sans fondement scientifique", dénonçaient mi-octobre la FNSEA critiquant la délimitation des nouvelles zones vulnérables à partir "de seuils arbitraires, sans autre fondement que des choix politiques pour traiter la question de l'eutrophisation". Des critiques qui mettent à mal l'expertise technique des Dreal.

Des programmes d'actions rendus obligatoires

Une fois définies les zones vulnérables, des programmes d'actions sont élaborés qui s'ajoutent aux mesures du programme d'actions national publié en décembre 2011 et applicable depuis le 1er septembre 2012. Ce programme national prévoit notamment d'augmenter les capacités de stockage d'effluents d'élevage, d'interdire le stockage au champ des fumiers de volailles, de renforcer l'encadrement des conditions d'épandage (pour les sols gelés, pour les sols en pente, etc.).

Les programmes d'actions actuellement établis en région pourraient requérir pour leur part la mise en place de la fertilisation équilibrée en zones céréalières, la réalisation de bandes végétalisées entre les champs et les cours d'eau, des assolements tournants ou encore la couverture des sols avec des cultures intermédiaires pièges à nitrates (Cipan), des cultures permettant d'absorber les excédents de nitrates des sols entre deux cultures.

Autre nouveauté, ces programmes d'actions deviendront obligatoires, alors que jusqu'à maintenant ils s'appliquaient sur la base du volontariat. "Qui contrôlera l'application des programmes ?", s'inquiète Bernard Rousseau, évoquant "la résistance du monde agricole". En effet, au-delà de l'opposition à la révision de l'application de la réglementation nitrates, les manifestations d'agriculteurs qui ont émaillé le territoire depuis plusieurs mois ont aussi pointé des contrôles trop rigoureux aux yeux des manifestants.

Enfin, le caractère obligatoire pourrait créer un effet d'aubaine bénéfique aux agriculteurs compte tenu du verdissement attendu de la Politique agricole commune (PAC). Comment seront considérées les mesures obligatoires des programmes d'actions au regard du volet "vert" de la PAC censé rémunérer les agriculteurs qui s'engagent volontairement à verdir leur activité ? Une telle rémunération au titre du verdissement reviendrait à faire supporter par le budget européen une partie des coûts associés à l'application de la directive nitrates.

Rédigé par jojo

Publié dans #Réaction de nos politiciens

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