Barrages de la Sélune : Zoom pour mieux comprendre le « feuilleton »

Publié le 29 Septembre 2018

Barrages de la Sélune : Zoom pour mieux comprendre le « feuilleton »
Le barrage de Vezins, construit entre 1929 et 1932, va être arasé.
Le barrage de Vezins, construit entre 1929 et 1932, va être arasé. | ARCHIVES OUEST-FRANCE

Le département de la Manche compte deux aménagements hydrauliques situés sur la Sélune. Le premier se trouve à Isigny-le-Buat (Vezins) et le second, plus en aval, à la Roche-qui-Boit (à Saint-Laurent-de-Terregatte), dans le Sud-Manche. L’annonce de l’arasement de ces barrages remonte à 2009. Ils devraient être détruits à l’automne 2019, soit dix ans plus tard. Retour sur ce chantier gigantesque et unique en Europe.

Entre 1915 et 1920, un premier barrage a été construit à La Roche-qui-Boit, à Saint-Laurent-de-Terregatte, dans le Sud-Manche, sur la Sélune, un fleuve côtier d’une centaine de kilomètres. Puis quelques années plus tard, entre 1929 et 1932, un second barrage a été installé plus en amont, à Vezins (commune qui fait désormais partie d’Isigny-le-Buat).

278 m de long et 36 m de haut, ce dernier, propriété de l’État, est huit fois plus puissant que celui de la Roche-qui-Boit. Ces deux ouvrages produisant de l’électricité ont été conçus par Albert Caquot, un célèbre ingénieur (1881-1976) à qui l’on ne doit pas moins de 300 ponts et barrages.

L’avenir de ces deux sources d’énergie renouvelable de la Manche a plusieurs fois été remis en questions. Arasement ? Conservation ? Retour sur ce «feuilleton » qui dure depuis une dizaine d’années.

2009 : Chantal Jouanno annonce la destruction des barrages

En novembre 2009, la secrétaire d’État à l’Écologie (sous la présidence de Nicolas Sarkozy), Chantal Jouanno annonce la destruction de ces structures de béton, dans le cadre du plan de restauration de la continuité écologique des cours d’eau, en France, car ils compliquent la circulation des poissons migrateurs.

Elle avait déclaré : « La concession du barrage de Vezins sur la Sélune ne sera pas renouvelée. Ce barrage présente une impossibilité d’aménagement pour la montaison et dévalaison des poissons migrateurs, en particulier des saumons, alors que la rivière est classée en ce sens. […] Je souhaite que cette opération soit exemplaire et constitue un véritable plan de mise en valeur de la vallée, avec une dimension liée aux emplois. […] C’est un grand chantier que nous ouvrons et que nous devrons construire ensemble, en particulier avec les élus locaux. »

À partir de ce moment, se forment deux camps : les pro-arasement et les anti-arasement. Deux associations sont créées, il y a d’un côté le collectif des Amis de la Sélune (pro-arasement) et de l’autre les Amis du barrage (contre). Ces derniers souhaitent préserver le lac artificiel de Vezins, un des seuls de cette envergure dans le Sud-Manche, et qui permet notamment la pêche carnassière.

2012 : NKM persiste

En février 2012, devant l’ensemble des élus concernés par la vallée de la Sélune, Nathalie Kosciusko-Morizet (NKM), ministre de l’Écologie, confirme la décision de Chantal Jouanno.

Elle avait précisé que l’État donnait un mandat de gestion à EDF pour poursuivre l’exploitation des barrages de Vezins et de la Roche-qui-Boit jusqu’à leur vidange.

Les projets d’accompagnements étaient prévus de 2013 à 2015, alors que les premières opérations de vidange, de gestion des boues et d’arasement des ouvrages devaient s’étaler de 2015 à 2018.

À l’époque, le ministère prévoyait une enveloppe de 15 millions d’euros (financée par l’État, l’Agence de l’eau et EDF) afin de couvrir les opérations de démantèlement des ouvrages et le réaménagement de la vallée, hormis les opérations de vidange.

Dans la foulée, le préfet de la Manche signe un arrêté  « portant décision de l’arrêt imminent de la concession de Vezins et l’arrêt de l’autorisation de La Roche-qui-Boit ».

Déjà en avril 1993, le barrage avait été vidangé. | E.BONNAIRE / CC-by-SA3.0

2014 : Ségolène Royal freine

Le 4 décembre 2014, Ségolène Royal, alors ministre de l’Écologie, était très attendue, dans le Sud-Manche. Lors de son passage à Isigny-le-Buat, la ministre avait écouté les Amis du barrages, opposés à l’arasement des deux barrages hydroélectriques.

Favorable aux énergies renouvelables, la ministre de l’Écologie de François Hollande, commande une expertise sur l’état des deux barrages ainsi que deux autres à propos des échelles à poisson et de la qualité de l’eau, très polluée dans les retenues. Elle avait jugé à l’époque qu’il était :  « paradoxal de détruire des barrages qui produisent de l’énergie renouvelable Quant à la libre circulation des poissons migrateurs, il faut que le rapport qualité-prix soit raisonnable. On ne met pas 53 millions d’euros pour faire passer les poissons… »  Aucune décision n’est prise sur le maintien ou non des barrages. Et l’idée d’un référendum, au niveau local, est émise par la ministre.

2015 : L’arasement des barrages est acté

Malgré ce coup de frein de Ségolène Royal, le dossier des barrages du Sud-Manche a été présenté au Conseil de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderest). Le préfet, Jacques Witkowski, y a détaillé et lancé le plan de vidange des barrages, qui sera suivi de la destruction de Vezins.

Mars - Avril 2016 : Deux associations saisissent la justice

Le 3 mars 2016, un arrêté préfectoral est publié, donnant le feu vert pour la vidange du barrage de Vezins et la gestion des sédiments.

La Fédération de la Manche pour la pêche et l’Union régionale des fédérations de Bretagne, Basse-Normandie - Pays de la Loire pour la pêche, (organisations membres des Amis de la Sélune), saisissent la justice et dénoncent une remise en cause du projet de destruction.

En effet, l’entreprise Valorem (opérateur en énergies vertes), soutenue par les Amis du barrage, proposait de reprendre les barrages. Or, les Amis de la Sélune, eux, souhaitent faire aboutir la décision prise par Chantal Jouanno et que les barrages soient détruits. Leur principal argument :  « la non-continuité écologique de l’installation ». Ils reprochent à l’arrêté préfectoral de ne pas prévoir la destruction du barrage, voire de s’y opposer.

Construit en 1932 sur la Sélune, pour alimenter en électricité la région, le barrage de Vezins va être détruit en 2018. | Archives Ouest-France - Stéphane GEUFROI

2017 : Nicolas Hulot confirme

14 novembre 2017, le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, confirme la décision qui avait été prise par Chantal Jouanno. Leur démolition  « permettra à la Sélune de retrouver une bonne qualité écologique et visera à terme des aménagements durables dans la vallée. […] La reconquête de la biodiversité doit être un axe prioritaire de l’action gouvernementale et des politiques territoriales pour résorber les conséquences du changement climatique ».

Mai 2018 - septembre 2018 : deux phases de vidange avant la destruction

14 mai 2018, la première phase de vidange du lac de Vezins (200 ha) est lancée. Cette date est aussi synonyme d’arrêt de la production d’électricité dans les deux barrages par EDF. Les Amis du barrage ne désarment pas et continuent de tout faire pour empêcher les travaux. Ce jour-là ils sont 70 membres à manifester leur mécontentement comme la secrétaire de l’association qui s’est ligotée à la centrale  « jusqu’à ce que Nicolas Hulot vienne rencontrer le président de l’association ».

Quinze jours plus tard, la préfecture de la Manche a pris un arrêté pour interdire au public de pénétrer et de circuler dans l’emprise de la retenue correspondant à l’ancienne étendue d’eau de Vezins, entre les ponts de Virey et de Dorière. Cette opération a permis  « en moins de quinze jours, d’abaisser le plan d’eau de 10 mètres pour atteindre un palier nécessaire à la réalisation de travaux dans le cadre de la gestion sédimentaire de la retenue de Vezins, engagée depuis mars 2017 »,  indique la préfecture de la Manche.

La pêcherie est installée en aval immédiat du barrage de Vezins. | Archives Ouest-France

Dans un communiqué, envoyé vendredi 17 août, la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) a fait un point sur les études et les travaux en cours.  « Le ministre de la Transition écologique et solidaire a annoncé en octobre 2017, son souhait de voir mener à terme l’opération d’effacement des barrages , peut-on lire dans le communiqué. Les travaux se sont donc poursuivis dans cet objectif réaffirmé et les opérations de gestion sédimentaire engagées se poursuivront jusqu’en 2019. […] La décision du ministre a permis de relancer les études visant au démantèlement des ouvrages en 2019 […] »

La vidange du barrage de Vezins s’est faite en deux temps. | Archives Ouest-France

Lundi 20 août, une pêcherie a été mise en place au niveau du lac de Vezins afin de récupérer les derniers poissons encore présents dans l’eau. La mise à sec du lac devait prendre une vingtaine de jours, il n’en aura fallu que quinze, car la deuxième phase de vidange s’est achevée, dimanche 2 septembre.

Dans son communiqué, la DDTM a annoncé que les conclusions des diverses études devraient être connues à la fin du mois de septembre ou début octobre 2018. À la suite de la vidange, le sous-préfet, Gilles Traimond, a fait le point. 

 

Mardi 4 septembre, François de Rugy est nommé ministre de la Transition écologique et solidaire, à la suite de la démission de Nicolas Hulot. Suivra-t-il les décisions prises par ses prédécesseurs à propos des barrages de Vezins et de la Roche-qui-Boit ?

Rédigé par jojo

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article